COVID 19 : l’accès aux médicaments

La Colombie doit établir rapidement une stratégie de politique publique effective pour donner accès à la population, dans les meilleures conditions possibles de prix et de qualité, aux médicaments pour le traitement du Coronavirus, aux vaccins pour prévenir la maladie et aux instruments tels que les respirateurs, fondamentaux dans la récupération des malades.

Même s’il a déjà été annoncé que certains mélanges de médicaments effectifs (des antirétroviraux inventés et produits par des laboratoires étrangers) pourraient être donnés aux personnes contaminées, il est vrai que la recherche et le développement des médicaments ne suffira pas si on n’adopte pas des mesures juridiques et de politique publique, nécessaires pour garantir non seulement la fabrication de ces médicaments mais aussi leur disponibilité et l’accès à la population.

Les questionnements et les décisions à adopter doivent d’abord aborder diverses technologies liées aux médicaments, aux dispositifs et aux outils médicaux : il faut connaître les mécanismes juridiques pour le transfère technologique. D’autre part, s’il existe un brevet pour ces technologies, il sera essentiel que la Colombie en adopte une position.

Également, le gouvernement doit analyser quelle est la meilleure manière de rendre réelle et effective la fabrication de ces ressources.

Certains soulignent que la situation actuelle démontre que la propriété intellectuelle ne promeut pas l’innovation et d’autres affirment même que les brevets doivent être éliminés du système ; cependant, au-delà des discussions sans fin, il sera utile que le gouvernement adopte une position claire par apport à cette situation exceptionnelle où, bien sûr, l’accent sera mis sur la santé des patients et des milliers de personnes contaminées. Il existe des possibilités effectives pour atteindre cet objectif.

C’est l’explication de l’avocate Luisa Fernanda Herrera, master en Droit de la propriété intellectuelle (LLM) de Queen Mary University of London, enseignante-chercheuse au Département de la propriété intellectuelle de l’Externado, l’une des organisatrices et conférencières du séminaire en ligne organisé par cette unité académique le 2 avril dernier, justement sur la « Propriété intellectuelle et la pandémie du COVID-19 ».

 

Service communication Université Externado. Que doit faire le pays pour garantir aux citoyens le libre accès aux ressources médicales pour combattre/prévenir le COVID-19 ?   

LFH. Même s’il est vrai qu’au niveau international la plupart des médicaments, des vaccins et des éléments tels que les respirateurs (tous en cours de recherche ou de développement) sont protégés par des brevets ou d’autres droits de la propriété intellectuelle – le mécanisme qui donne à leurs titulaires le droit d’employer l’invention de manière exclusive, d’établir des prix d’accès en toute liberté et de limiter leur utilisation – la Colombie peut définir une stratégie pour que les colombiens puissent avoir accès à ces produits.

Le même système de la propriété intellectuelle offre des solutions que nous devons analyser. Et nous devons surtout rappeler que la plupart des intrants ou des technologies nécessaires pour faire face à la pandémie ne peut pas recevoir un brevet, c’est alors pourquoi la discussion ne peut pas se centrer sur l’élimination ou pas des brevets. Cependant, il faut aussi prendre en compte d’autres modèles tels que celui de l’Allemagne, où il a été décidé de suspendre les droits des brevets requis pour faire face à la pandémie, un instrument juridique et de politique différent à la licence obligatoire – une autre option dont on commencera à parler dans les débats publics et important en Colombie pour les cas des médicaments Imatinib et Kaletra.

Les autorités compétentes doivent connaître et surveiller les différents types de flexibilités envisagées par les systèmes de la propriété intellectuelle et des brevets dans des situations extraordinaires comme l’actuelle, et en tirer profit. Il s’agit de nouvelles manières de travailler des entreprises privées pharmaceutiques. Les accords de coopération et de transfert technologique sont clé.

Contrairement à ce que pensent les gens, depuis le début de la pandémie j’ai constaté qu’une grande partie de ces corporations travaillent de manière conjointe pour trouver des vaccins ou des médicaments. Le secteur privé est très dynamique et les gouvernements doivent se renseigner, par exemple, sur les contrats de transfert de technologie qui permettent aux entreprises de s’associer en faveur de la coopération pour garantir des processus plus libres – scientifiques et juridiques – permettant de répondre rapidement aux émergences. Les contrats de transfert promeuvent la production dans des conditions plus efficientes et à des coûts moins élevés ; et les consortiums des brevets ont été efficaces pour des émergences sanitaires d’autre genre. Leur objectif est de réduire les effets négatifs de la concurrence, dans des circonstances extraordinaires.

Le cas des compagnies automobiles est intéressant puisqu’elles ont proposé de commencer à produire les ventilateurs nécessaires pour les patients pendant la crise du Coronavirus, et pour cette raison elles ont dû obtenir des permis pour exploiter les designs des appareils, au cas d’être protégés.

Les autorités nord-américaines des brevets et de la concurrence promeuvent des accords de coopération entrepreneuriale et flexibilisent la procédure des brevets pour éviter des retards dans la concession. Aux États-Unis, aussi bien la FDA que la FTC ont adopté des guides et des manuels qui flexibilisent les termes et les procédures, ainsi que les conditions supplémentaires pour que les brevets et les autorisations sanitaires soient plus rapides.

On devra aussi étudier l’impact de déclarer cette pandémie comme orpheline et aux États-Unis il y a eu déjà plusieurs débats sur les effets négatifs ou positifs pendant les périodes d’exclusivité octroyées par les États aux brevets. Cela sans prendre en compte le non-respect des conditions d’obtention de cette qualification ; cependant il peut être utile d’analyser la Loi 1392, qu’en 2010 a établi la faculté du gouvernement de négocier avec les pharmaceutiques pour faciliter l’accès à ces médicaments.

Le gouvernement doit être très proactif au moment de profiter de ces avantages, prenant toujours en compte l’équilibre nécessaire entre les intérêts des inventeurs et ceux de la santé de la population. On attend du secteur privé une économie collaborative plus exclusive. Il serait souhaitable, par exemple, que dans des moments comme celui qu’on traverse, les entreprises évitent de s’opposer aux processus de concession des brevets, ce qui retarderait l’accès au produit.

La licence obligatoire est une flexibilité qui exige une déclaration d’intérêt public. Cette situation est arrivée lorsque le Ministère de la Santé a fait face à l’Imatinib. Cependant, il est évident que la déclaration d’intérêt public devient pertinente. La figure de la licence obligatoire a servi pour promouvoir les réductions des prix des médicaments de la part des pharmaceutiques au niveau mondial ; c’est ce qui s’est passé dans le cas des antirétroviraux, entre autres.

Il existe de nombreux aspects à analyser mais je pense qu’il faut qu’on soit objectifs dans les débats et on ne pas se contenter de trouver des solutions politiques, mais des mécanismes juridiques viables. Pour l’instant, je considère que le modèle allemand est admirable, il faudrait l’adapter pour ne pas altérer l’équilibre des droits, étudier les pools ou les consortiums des brevets.

OCUE. Et que se passe-t-il avec les possibles développements et inventions qui ont eu lieu en Colombie, par exemple des respirateurs créés à plusieurs endroits ?   

L.F.H. Cette crise suscite des opportunités très intéressantes pour l’innovation en Colombie, et si ce gouvernement s’intéresse à la promotion de « l’Économie orange », celui-ci est justement le domaine : la production des intangibles. Le message est que nous sommes aussi capables d’en développer.

C’est un moment pour croire à la capacité d’innovation de notre industrie. Ne pas attendre que les autres créent pour nous. Innover et commencer à utiliser. Dans le Valle du Cauca il y a des innovations très encourageantes dans l’industrie pharmaceutique.

Et le gouvernement colombien doit évaluer quels sont les meilleurs mécanismes juridiques à adopter pour éviter que les importations des médicaments soient trop coûteuses aussi bien pour le pays que pour les consommateurs. Cependant, la vérité est que c’est le système qui établit des mécanismes tels que les importations parallèles et d’autres qui favorisent la création des structures qui assurent l’accès sans violer les droits d’exclusivité des titulaires des droits de brevet.

OCUEC. Il est vrai, comme on l’entend fréquemment, que le système des brevets favorise de manière exclusive les pharmaceutiques au détriment de la santé des plus démunis ?

LFH. Il s’agit d’une idée absolue qu’il faut transformer. Évidemment qu’il existe des organisations qui cherchent seulement à s’enrichir, sans aucune responsabilité sociale, mais en général, la propriété intellectuelle cherche l’équilibre entre les intérêts de la recherche scientifique et les besoins de santé de la population, et tout cela en ayant aussi le droit de faire partie de la concurrence. Mais bien sûr qu’il faut partir d’une réalité, toutes les entreprises ont un but lucratif, non seulement les pharmaceutiques, qui se retrouvent dans la logique du système capitaliste et néolibéral. Alors débattre sur les difficultés du système économique ne nous apporte pas de solutions concrètes.

Dans ce domaine, nous ne pouvons pas généraliser, il faut analyser au cas par cas. De plus, tout le monde sans exception est touché par cette pandémie et je pense qu’au-delà de subjectiviser ou polariser le sujet comme nous avons l’habitude de faire, le plus important est de trouver des solutions effectives et réelles. La clé est l’utilisation du système de la propriété intellectuelle au bénéfice de la société et des inventeurs et c’est aussi notre objectif au Département de la propriété intellectuelle, qui lance ce débat pour connaître tous les points de vue.